Déwé Gorodé - Photo: gouvernement de la Nouvelle-Calédonie |
Déwé Gorodé
Épéri
Déwé Görödé-Pourouin (noté Gorodey par l’état civil, graphie qu’elle
utilise en politique) est née le 1er juin 1949, dans la tribu
de l’Embouchure, dans la commune de Ponérihouen (Pwârâiriwâ en paicî,
littéralement “l'embouchure de la rivière”), sur la côte Est de la
Nouvelle-Calédonie. Elle s’est éteinte le 14 août 2022 à l’hôpital de Poindimié, après de longues
années de maladie, à l’âge de 73 ans.
« J’ai
aimé écrire assez jeune », confie-t-elle[1].
Sans doute parce qu’elle aimait écouter les histoires, celles de sa terre et
celles d’ailleurs. Des histoires que lui contait son père, Waia Görödé (décédé
en 1981), un disciple de Maurice Leenhardt[2].
Il s’en confia dans un recueil : Souvenirs
d'un Néo-Calédonien ami de Maurice Leenhardt, reprographié par son
fils Raymond Leenhardt en 1977, et un manuscrit, écrit en français, paicî
et ajië, intitulé Mon école du silence,
dont elle travaille à l’édition commentée, avec le professeur Bernard Gasser.
Par ailleurs, ses deux grands-pères, les pasteurs Pwëdé Philippe Görödé et Cau Elaisha Nâbaï, élèves et
informateurs de Maurice Leenhardt, ont laissé de nombreux écrits en
langues ajië et paicî sur la tradition orale.
Orateurs
traditionnels, ils ont également entretenu une très longue correspondance avec
Maurice Leenhardt en ajië, comme le fera plus tard Waia Görödé, avec
Raymond Leenhardt.
« Mon
père nous racontait, en langue paicî des contes comme Le Petit Poucet, ou même l’histoire de Gavroche des Misérables. Mes grandes sœurs rapportaient des livres de prix, des contes… Je dévorais
les livres de lecture. » En grandissant, l’ogresse des livres allait se
faire conteuse.
Ses
études littéraires à Montpellier, de 1969 à 1973, marquent les vrais débuts de
l’écriture poétique, la découverte des écrivains de la négritude, des
romantiques et de Marx...
Révélateur
en matière d’écriture, ce séjour en France est également le déclencheur d’une
prise de conscience politique. À son retour, elle rejoint les Foulards rouges,
puis le Groupe 1878, mouvements contestataires kanak nés de mai 1968. En
mai 1976, elle participe à la création du Palika, un parti politique prônant
l’indépendance kanak. Chargée des relations extérieures, elle participe à des
missions du front indépendantiste dans le Pacifique, en Australie, en Algérie,
au Canada, au Mexique et à l’ONU.
Licenciée
en lettres modernes, elle commence à enseigner en 1974, d’abord le français,
puis le paicî, et enfin la littérature océanienne, au Mont-Dore, à Houaïlou
(1983), Poindimié (1996), et Nouméa (1999), à l’université de la
Nouvelle-Calédonie. En 1985, elle participe à l’expérience des EPK, écoles
populaires kanak, créées dans la mouvance des Événements qui secouent
l’archipel.
Son
engagement politique dans diverses organisations indépendantistes lui vaut
d’être incarcérée au Camp Est, la prison de Nouméa, en 1974 et 1977. Elle y
compose une partie de son premier recueil de poésies, Sous les cendres des conques, publié en 1984, qui témoigne de sa
volonté de faire entendre une voix kanak qui dise sa quête militante et son
attachement aux racines de sa culture. Avec cette œuvre, elle tente ce qu’elle
appelle « une interprétation poétique de l’histoire ». Pendant de
longues années, elle privilégiera cependant le combat politique à l’écriture,
« C’est peut-être aussi pourquoi j’ai publié très tard »,
explique-t-elle[3].
En
1994, paraissent Utê Mûrûnû, petite fleur
de cocotier et L’Agenda (aux
éditions Grain de sable, puis réédités et augmentés en 1996, aux éditions
Madrépores), deux recueils de nouvelles où elle exprime le lien à la terre et
la place de chacun dans une société en voie de reformulation. « Les deux
recueils font une place importante aux femmes kanak d’aujourd’hui, dans le lien
inaliénable qu’elles entretiennent avec le passé. Habitées par le devoir de
mémoire, mémoire des souffrances d’autrefois, des luttes qui cimentent de
nouvelles alliances sans faire oublier les anciennes, elles puisent ainsi leur
force dans la tendresse qui habite les cœurs des autres femmes », résume
Dominique Jouve[4].
En
1996, elle publie également Par les temps
qui courent, un recueil d’aphorismes où « le style s’évertue à
moderniser l’apophtegme en rejoignant l’humour populaire des tribus. Les
maximes deviennent lapidaires… », résume Hamid Mokaddem[5].
En
1999, au lendemain de l’Accord de Nouméa, elle est l’une des deux premières
femmes élues de l’UNI à l’assemblée de la province Nord, et se voit confier les
secteurs de la Culture, de la Jeunesse et des Sports au Conseil de gouvernement
de la Nouvelle-Calédonie. Elle participera à tous les gouvernements qui
suivront (en 2001, 2004, 2009, 2011, 2014 et 2015), assumant même la
vice-présidence jusqu’en 2009. À compter de cette date, elle est également en
charge de la Condition féminine et de la Citoyenneté, jusqu’à la fin de
son dernier mandat en 2019.
Elle
poursuit parallèlement son chemin d’écriture en signant avec Nicolas Kurtovitch Dire le vrai et Le Vol de la parole avec Weniko Ihage, mais une large partie de son
œuvre reste inédite. En 2000, à l’occasion du VIIIe Festival
des arts du Pacifique à Nouméa, elle s’essaye au théâtre avec Kënâké 2000, mis en scène par Pierre Gope,
au théâtre de Poche.
L’Épave, son premier roman, et le premier roman kanak jamais
publié, paraît aux éditions Madrépores à l’occasion du deuxième Salon
international du livre océanien (SILO), en octobre 2005 ; il est réédité en
2007 et en 2019. Il reçoit un
accueil médiatique discret, voire gêné, mais le premier tirage est rapidement
épuisé alors qu’il est sélectionné pour la douzième édition du prix RFO du
livre 2006, aux côtés de Maryse Condé, Ousmane Diarra et Ananda Devi, qui en sera la lauréate. L’année suivante, L’Épave reçoit le prix Popaï du
gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, au SILO 2007, à Poindimié.
En
2008, Jean-Marie Gustave Le Clézio, recevant le prix Nobel de littérature,
associe Déwé Gorodé à d’illustres auteurs internationaux, français ou
ultramarins qui l’ont accompagné dans son chemin d’écriture lors de la
conférence qu’il donne à cette occasion.
Graines de pin colonnaire, un second
roman composite, paraît aux éditions Madrépores à l’occasion du SILO, en
septembre 2009.
Son troisième roman, Tâdo, Tâdo,
wéé ! – No More Baby, est édité par Au vent des îles, à Tahiti, en
2012, dans la collection Littérature du Pacifique.
En 2014, les éditions Vents
d’ailleurs (La Roque-d’Anthéron, France), publient À l’orée du sable, un recueil de poèmes, suivi en 2016 par Se donner le pays, aux éditions Bruno Doucey
(Paris), composé avec la poétesse Imasango, unissant ainsi leurs deux voix, « l’une
kanak, l’autre métisse, pour rappeler que la poésie est un territoire de
paix ».
G. B.
[1] Interview recueillie par Blandine Stefanson,
Notre librairie, revue des littératures
du Sud, nº 134, Paris, 1998.
[2] Ainsi que son père, le pasteur Philippe Görödé
(1890-1972).
[3] Interview
recueillie par Blandine Stefanson, Notre
librairie, revue des littératures du Sud, nº 134, Paris, 1998.
Lire également: Disparition de Déwé Gorodé
Au catalogue Madrépores
L’Épave, roman, prix Popaï de la Nouvelle-Calédonie 2007,Déwé Gorodé, 2005, réédité en 2019.
Graines de pin colonnaire, roman,
Déwé Gorodé, 2009.
Utê Mûrûnû, petite fleur de cocotier, nouvelles,
Déwé Gorodé, 2015.
L’Agenda, nouvelles,
Déwé Gorodé, 2015.
La Vieille Dame, nouvelles,
Déwé Gorodé, 2016.
Bibliographie de Déwé Gorodé
POÈMES
Sous les cendres des conques, poèmes,Par les temps qui courent, aphorismes,
Dire le vrai – To tell the Truth, avec Nicolas Kurtovitch, poèmes, traduits par Raylene Ramsay et Brian Mackay,
Avant que la nuit tombe, poésie,
ill. de Mathieu Venon,
L'Herbier de Feu, Nouméa, 1999.
À l’orée du sable, poèmes,
Se donner le pays, poèmes,
Éditions Bruno Doucey, Paris, 2016.
THÉÂTRE
Kënâké 2000, une adaptation du jèmââ de Téâ Kënâké, théâtre, pièce inédite mise en scène par Pierre Gope,NOUVELLES
Utê Mûrûnû, petite fleur de cocotier, nouvelles,L’Agenda, nouvelles,
Le Vol de la parole, avec Weniko Ihage, nouvelles,
La Vieille Dame, nouvelles,
ROMANS
L’Épave, roman, prix Popaï, 2006,Graines de pin colonnaire, roman,
Tâdo, Tâdo, wéé ! – No More Baby, roman,
TRADUCTIONS
Dire le vrai – To Tell the Truth, avec Nicolas Kurtovitch, poèmes,Grain de Sable, Nouméa, 1999.
The Kanak Apple Season, nouvelles,
Pandanus Books, Canberra (Australie), 2004.
Sharing as Custom Provides, poèmes,
Pandanus Books, Canberra (Australie), 2005.
The Wreck (L’Épave), roman,
Little Island Press, Auckland, (Nouvelle-Zélande).
TRADUIT PAR DÉWÉ GORODÉ
Pierre noire, de Grace Mera Molisa, poèmes,Grain de Sable, Nouméa, 1997.
ESSAI
Trente ans du Palika – En chemin vers la citoyenneté, essai,ANTHOLOGIES ET OUVRAGES COLLECTIFS
Blood on their Banner, Nationalist Struggles in the South Pacific,Nouvelle-Calédonie – Un paradis dans la tourmente,
A New Oceania – Rediscovering our Sea of Island,
Epeli Hau’ofa, Eric Waddel, Vijay Naidu, ed. University of South Pacific, School of Social and Economic Development, Suva (Fiji), 1993.
Die Südsee – Inselwelten im Südpazifik, nouvelle,
Paroles et écritures. Anthologie de la littérature néo-calédonienne,
Avant-propos , in Chroniques du pays kanak, t. 4 :
« Mutations », encyclopédie,
Coll. sous la dir. de Gilbert Bladinières, Planète Mémo, Nouméa, 1999.
Nouvelles d'Océanie 1 : vol. 91, Anthologie permanente de la nouvelle, nouvelles,
Brèves/Pour la nouvelle, Villelongue-d'Aude, 2010.
Éclaire nos pas... Quinze ans de poésie — Nouvelle-Calédonie 1995-2010, poésie,